par Guillaume LE FOYER DE COSTIL

« Il vaut mieux bien faire le mal que mal faire le bien » (Ovide, in Métamorphoses).

« Médiation : enjeux et perspectives », c’est sous ce titre qu’une session de formation continue de l’école de la magistrature s’est déroulée le 1er avril dernier à la Cour d’Appel de Paris, introduite par le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris et le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de Paris ; cette journée a réuni magistrats, avocats et médiateurs qui ont « dressé le constat des expériences et pratiques de médiation au sein de différentes juridictions du ressort »(les Annonces de la Seine n°23 du 11 avril 2011).

L’organisation de ce colloque, dont il a été rendu compte de façon très élogieuse, n’a surpris personne.

Elle laisse pourtant perplexe, surtout si l’on veut bien prendre la peine de réfléchir aux rapports qu’entretiennent le service public de la Justice (mot qui désigne à la fois l’institution et son objet) et la médiation (qui, heureusement n’est jusqu’ici qu’un moyen technique).

L’on ne peut en effet manquer de s’interroger sur ce récent engouement, voire sur cette passion, qui habite aujourd’hui avocats et surtout magistrats, et qui les conduit à délaisser l’objet de leurs vocations premières : les procès.

Les magistrats qui parlent de la médiation et en organisent le cadre font penser aux dirigeants d’une grande compagnie de paquebots de l’après guerre qui, voyant péricliter leur activité devenue inefficace, se lanceraient à corps perdu dans la création d’une compagnie aérienne, tentant de convertir sans formation aucune les capitaines de leurs navires en pilotes d’avions. Il est temps de voir les choses avec plus de froideur.

La fonction judiciaire étatique et le contrôle social

Revenons un peu en arrière et plaçons-nous, au hasard, à la fin du 19ème siècle, au temps de Daumier.

À cette époque la Justice met en contact deux types de groupes sociaux :

D’un côté la classe dirigeante, qui lui fournit ses cadres (avocats et magistrats, le groupe de ces derniers étant d’ailleurs en quantité identique au personnel judiciaire d’aujourd’hui) généralement issus debonnes familles, n’ayant, de ce fait, ni les uns ni les autres, besoin d’une rémunération pour subsister.

Leur condition est d’abord un état qui définit leur rang social ; ils font aussi à la société le sacrifice du temps qu’ils consacrent à leur mission et compensent cet inconvénient par l’élégance de leur tenue, l’amusement de leurs joutes oratoires et la satisfaction d’une sorte de bonne conscience née de l’occupation consistant à s’occuper de haut des affaires d’autrui.

De l’autre se présente la masse informe du prolétariat dont la Justice surtout pénale gère les débordements gênants pour la société, l’ensemble étant tenu en respect par la force du contrôle social.

En ce temps là, on ne parle pas des inconvénients de l’encombrement judiciaire, on ne s’occupe pas des « moyens de la Justice » qui sont amplement suffisants et les autres fonctions étatiques régaliennes (l’éducation nationale, la gendarmerie et l’armée) suffisent à maintenir l’ordre et contenir les désordres.

Dans cette société morcelée en petites communautés, le regard des uns sur les autres, l’idée que chacun a de soi, la considération dans laquelle il importe de vivre à peine d’être exclu du champ social, sont autant de moyens qui suffisent à contraindre chacun à respecter les règles élémentaires d’une vie économique et sociale plutôt régulière ; et pour les grandes révoltes (viticulteurs, mineurs etc…) on a recours à l’armée et non à la police.

En ces temps il n’y a pas de médiateur ni de médiation, sauf quelques fois tel notable de province qui va tenter par son entremise de réconcilier des partenaires économiques qui se déchirent ou des héritiers qui n’ont pas réussi à régler leurs difficultés successorales ; quant au contentieux familial, il est quasiment inexistant puisque le divorce déconsidère de façon radicale celui qui y recourt.

Mais en tous cas on ne se plaint alors ni de la Justice, ni du service public qui la rend.

La médiation comme substitut de la fonction juridictionnelle défaillante

L’individualisme a acquis droit de cité dans les années soixante avec le droit de jouir sans entrave, que mai 68 a offert en cadeau à tous les baby-boomers.

Se révolter est devenu une vertu, mettre en avant un intérêt un véritable droit, et le contentieux familial a explosé avec la banalisation du divorce ; toutes ces révolutions, heureuses pour l’individu, dont les effets bénéfiques se sont notamment traduits par l’état de paix permanente dans lequel vit l’Europe depuis près de soixante dix ans, ont un léger prix à payer : l’obligation de mettre en place un véritable système de résolution des conflits, collectifs ou individuels.

Or la Justice n’a quasiment pas bougé dans sa vision du monde durant la même période, sauf l’évolution des carrières, regrettable pour les seuls professionnels, qui les conduit aujourd’hui à devoir utiliser leur état comme moyen de subsistance, fonction pour laquelle il n’avait pas été prévu et dès lors à en renchérir le coût sans gain de productivité, bien au contraire.

C’est ainsi que subsiste, malgré les réformes, un système judiciaire très coûteux pour les justiciables, incapable de produire des résultats à la mesure des aspirations de la population et surtout incompréhensible, tant sont complexes les règles de procédure garantes des libertés et de l’état de droit.

Rien ne va plus au royaume de Thémis, et les acteurs les plus habiles de la société en profitent pour échapper à leurs obligations élémentaires. Quant à ceux qui croient encore à la « justice de leur pays », une fois l’avocat payé, le procès perdu ou la condamnation sans exécution ils sombrent dans la révolte et se font justice dans la violence et la rancœur.

On raconte que l’un des présidents des États-Unis, Gérald FORD, à la lecture d’un rapport sur le coût exorbitant des frais de justice de l’Etat fédéral, aurait demandé à ses conseillers de trouver un système tendant au même but : la résolution des conflits, mais efficace et d’un coût raisonnable au regard de ces fins.

C’est ainsi que sont nés les « modes alternatifs de résolution des conflits » au nombre desquels se trouve la médiation, dont la lente mais certaine importation en Europe est en cours.

L’objet de la présente réflexion n’est pas d’en retracer l’histoire, d’en analyser les courants, d’en faire l’éloge ou d’en regretter l’invention.

Le propos de l’auteur est de faire part de son étonnement devant l’appétit des acteurs du système, surtout celui des magistrats, qui les pousse à faire l’éloge hagiographique de la médiation.

L’expérience de celle-ci enseigne qu’en réalité la médiation ne devrait rien avoir à voir avec la Justice ; si les deux institutions poursuivent le même but elles sont concurrentes et non complémentaires.

Les seules dispositions utiles (mais non indispensables) du Code de Procédure Civile concernant la médiation sont : la suspension de la prescription, qui devrait rester facultative, et la confidentialité des échanges entre les parties, qui peut de toute façon être convenue lorsque la médiation est mise en place, ou disparaître avec l’accord des parties.

En d’autres termes, il est urgent d’écarter la Justice de la médiation et de protéger celle-ci de son influence, de sa mauvaise conscience et surtout de celle de ses acteurs.

L’obstination de nos magistrats à se transformer en médiateurs une fois la retraite venue ou, horresco referens, durant l’exercice de leurs fonctions, parait un dévoiement contre lequel il est surprenant que personne n’ait jusqu’ici protesté.

Lorsque le juge propose une médiation aux parties, il s’avoue vaincu : il fait l’aveu étonnant de son impuissance à résoudre le litige, soit parce que ce dernier est de trop modeste importance, soit parce que sa complexité exclut sa résolution dans un temps raisonnable.

En d’autres termes, le juge qui propose la médiation baisse les bras, se défile, et commet en réalité un déni légal de justice.

De plus, lorsque le système judiciaire décide de s’emparer d’une médiation, il importe à tort dans celle-ci des réflexes, une culture et des habitudes qui paraissent de nature à en empêcher le bon déroulement.(comme le contradictoire, la neutralité ou le morcellement temporel de la procédure)

Les acteurs habituels de la médiation ne s’y trompent pas lorsqu’ils recommandent aux apprentis médiateurs d’origine judiciaire de suivre une formation, faite de psychologie sociale et d’expériences vécues, sans laquelle il parait effectivement exclu de faire du bon travail.

En d’autres termes, plutôt que de trahir sans cesse leur cause, les acteurs du système judiciaire feraient mieux de s’attacher à résoudre les incapacités de celui-ci ; ils seraient bien inspirés de cesser de le dénigrer à tout instant en faisant l’éloge béat de la médiation ; il est temps de cesser de présenter celle-ci comme le bien absolu et le contentieux comme le mal total. Chacun a sa fonction, son usage et ses vertus ; sachons faire la différence.

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