par Guillaume LE FOYER DE COSTIL
La Cour de Cassation, Chambre Commerciale, a rendu le 20 mars dernier un arrêt important qui invite les acteurs économiques à réfléchir un peu plus à l’édifice qui s’est déjà construit à propos de la distribution sélective de produits cosmétiques depuis qu’existe la vente à distance sur internet.
La solution retenue vaut d’ailleurs pour d’autres domaines de l’économie.
On rappellera d’abord que l’ancien article 81 du Traité de Rome, devenu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, prohibe les ententes anticoncurrentielles mais prévoit des exemptions pour un certain nombre de pratiques qui apparaissent positives.
Ce domaine du droit, que les spécialistes qualifient de « restrictions verticales » a fait l’objet, il y a maintenant douze ans, de ce que la Commission Européenne appelle des « lignes directrices » et qui sont en quelque sorte le résumé de sa position ; la fiche de synthèse qui figure sur le site de l’Union Européenne précise que ces lignes directrices sont données à titre d’information ; mais cela n’est pas inutile compte tenu de la lourdeur de la rédaction des textes européens.
La question qui était posée à la Cour de Cassation était de savoir si la Cour d’Appel de Toulouse, dont elle examinait l’arrêt, avait bien fait d’approuver les premiers juges qui avaient eux-mêmes donné raison à un grand laboratoire de retirer son agrément à l’un de ses distributeurs pour avoir procédé à la confection et à la distribution d’un catalogue de vente par correspondance auprès de Collectivités.
Ce distributeur, mis en demeure par le fabricant, l’avait assigné devant le premier juge en soutenant que les clauses contractuelles avaient été respectées et que la prohibition que voulait lui imposer le fabricant de ne pas recourir aux ventes à distance était illicite.
La Cour d’Appel de Toulouse avait approuvé le premier juge en s’appuyant sur une décision du Conseil de la Concurrence du 29 octobre 2008 qui avait enjoint au même fabricant de supprimer de ses contrats de distribution sélective les mentions équivalant à une interdiction de vente sur Internet.
La Cour d’Appel de Toulouse était entrée dans un raisonnement complexe pour donner raison au laboratoire et avait, en résumé, approuvé l’interdiction absolue faite au revendeur d’utiliser Internet pour développer sa clientèle.
La Cour suprême a balayé d’un revers de main le raisonnement trop complexe et a rappelé qu’il appartenait seulement à la Cour d’Appel de Toulouse de « rechercher si les clauses litigieuses avaient pour objet de restreindre les ventes passives ou actives aux utilisateurs finals par les membres du système de distribution sélective ».
Il était donc inutile à la Cour d’Appel de Toulouse de rechercher si le fabricant de cosmétiques avait respecté la décision du Conseil de la Concurrence (la Cour de Cassation rappelle d’ailleurs qu’à la date où elle statue, la Cour d’Appel de Paris n’a pas encore examiné la décision en question), et plus généralement d’entrer dans le détail des relations des parties.
Par un motif aussi bref que synthétique, la Cour de Cassation se réfère en fait au texte de l’article 4c du Règlement n°2790/1999 du 22 décembre 1999 qui expose : « l’exemption de l’interdiction de restreindre la concurrence ne s’applique pas aux accords qui ont pour objet la restriction des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres du système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ».
Dans son arrêt la Cour de Cassation ne fait pas de distinction, pour la solution qu’elle retient, entre les ventes passives et actives aux utilisateurs finals, ce qui montre l’importance économique qu’elle attache au système de vente par Internet.
On se reportera avec intérêt aux « lignes directrices sur les restrictions verticales », la Commission y donne des recettes très claires et très précises pour analyser les restrictions verticales et apprécier leur licéité.
Elle définit quatre étapes :
– Une définition du marché concerné afin d’établir la part de marché du fournisseur et de l’acheteur en fonction de l’accord en considérant le marché du produit et le marché géographique en cause.
– Si la part de marché en cause ne dépasse pas le seuil de 30%, l’accord vertical bénéficie d’une exemption par catégorie.
– Si elle les dépasse, il convient de vérifier si l’accord ne fausse pas la concurrence ; on prend alors en considération divers critères (position du fournisseur, des concurrents, de l’acheteur sur le marché, barrière à l’entrée, nature du produit etc.).
– Si l’accord vertical remplit les deux conditions précédentes, il peut être exempté d’interdiction dès lors qu’il contribue à améliorer la production, la distribution des produits qu’il promeut, le progrès technique ou économique et réserve aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte.
Nul doute que les ventes sur Internet de produits cosmétiques répondent à toutes ces définitions.
On comprend donc que la Cour de Cassation, sans vouloir se prononcer sur l’opportunité d’interdire dans le dossier dont elle était saisie la prohibition des ventes par Internet, ait invité le juge à se concentrer sur les critères définis par la Commission Européenne et à ne pas s’en exonérer en se reportant à une simple décision du Conseil de la Concurrence (qui n’avait pas, en l’espèce, statué dans le sens qui lui était prêté puisqu’il avait lui-même conclu : « on ne peut assimiler l’interdiction de vente d’un produit sur internet au sein d’un réseau sélectif agréé à une interdiction de vente par correspondance classique »).
On doit donc approuver la décision de la Cour de Cassation qui va maintenant obliger les juges du fond à examiner chaque fois avec attention les effets économiques des restrictions qui leur sont déférées sans se contenter de la lettre des contrats.